Affaire Eyedea

Gamma-Rapho a un an, le bilan

Il y a treize mois, le 6 avril 2010, le tribunal de commerce de Paris confiait à François Lochon, photographe et ancien directeur de l’agence Gamma, la gestion du groupe d’agences Eyedea (ex Hachette Filipacchi Photos) en faillite.

 

Tout c’était joué lors de l’audience du 30 mars précédent lorsque François Lochon avait déclaré « faire son affaire » de l’hypothèque posée sur les fonds Keystone-France et certaines archives de Gamma par les anciens actionnaires. Un an après ou en est on ?

 

Ce mercredi 13 avril, quand j’arrive dans le 14ème arrondissement de Paris, 104 boulevard Arago, siège de la nouvelle société Gamma-Rapho, Raymond Depardon vient de partir. Il est venu récupérer les « rushs » de ses premiers films que François Lochon a retrouvés en fouillant les innombrables cartons dont il a hérité.

« Je ne donne plus d’interview » me précise immédiatement au téléphone Raymond Depardon, l’un des « historiques » les plus connus de l’agence Gamma. « Je fais un film sur mes archives qui sortira en salle l’an prochain…Et puis, je ne veux plus rien dire sur Gamma. Je n’y étais pas revenu depuis plus de vingt ans. Enfin, la seule chose que je peux vous dire c’est: je souhaite que François Lochon réussisse ! ».A lire la dédicace qu’il a écrit sur la photographie qui trône dans le bureau du patron, il n’y a pas de doute. François Lochon n’est pas peu fier de ce porte-bonheur.

« Raymond Depardon était très ému d’être dans les locaux de l’agence » racontent les témoins « Il a parlé pendant longtemps de l’agence, du métier et de son évolution. Il est très réaliste et un peu dubitatif sur l’évolution du photojournalisme vers les galeries, même si il nous a assuré que celle récemment ouverte à Paris par Magnum vendait bien ».

« Il a embrassé François comme du bon pain. On se demande pourquoi il ne ramène pas ses archives à Gamma. Et la dédicace… Elle va plaire chez Magnum. » persifle un autre.

Des photographes plein d’espoir

Interviewer les photographes sur le bilan de cette première année de la nouvelle agence, ne va pas de soi. Ceux qui ont quitté Gamma, dans les différents plans sociaux qui se sont succédé durant l’ère Eyedea sont bavards. Chez ceux là, François Lochon n’a pas bonne presse, car il a soit refusé de les reprendre comme salariés, soit refusé de leur donner un pourcentage avantageux sur les ventes.

En dépit des statuts de la société qui le précise, Gamma-Rapho n’est plus aujourd’hui une agence de presse. En France, pour utiliser ce terme, il faut l’agrément de la « Commission paritaires des publications et agences de presse ». Les photographes, (les journalistes et les non-journalistes) sont payés en droits d’auteurs ce qui complique l’obtention de la carte de presse.

Ceci dit, Raphaël Gaillarde, Laurent Van der Stock et d’autres photographes moins connus continuent à confier leurs reportages en diffusion à Gamma-Rapho. « Personne ne nous a quitté depuis que j’ai repris l’agence » précise François Lochon. Ces derniers temps, il y a même quelques retours, comme Patrick Aventurier qui est à nouveau diffusé par Gamma.

« Et puis, nous retrouvons beaucoup de photos intéressantes et inexploitées dans les archives. » ajoute François Lochon. « Un exemple : Dominique Nabokov, la fille de l’écrivain, a fait des portraits magnifiques de Marie Trintignant… Et puis, la vérité, c’est que sur tous les évènements récents, que ce soit le Japon, la Tunisie, l’Egypte, la Lybie nous sommes capables de sortir des dossiers formidables ! »

Du coté de Rapho, c’est un peu le même tableau. Mis à part « le fond Niepce que j’ai loupé, les « légendes » de Rapho, les Doisneau, les Weiss, les Silvester ont signé avec moi » s’exclame enthousiaste le bouillant patron.

« J’ai laissé mes archives » confie Sabine Weiss. « Ils ont tellement de choses à moi. Pensez que je suis à Rapho depuis 1952… Mais j’ai toujours conservé des clients personnels. Même du temps de Barbara et Raymond Grosset je n’allais pas souvent rue d’Alger, à l’agence. J’ai vu cette famille grandir et disparaitre. Après la mort de Barbara et Raymond, personne ne s’occupait plus vraiment des photos. »

« Cette semaine », précise celle qui se qualifie de « vieille dame », « l’agence m’a envoyée une maquette de couverture de livre. Je ne me souvenais même plus de la photo que l’éditeur a choisie. En fait j’ai tout laissé à Rapho sauf mes expositions que j’avais récupérées au moment critique ou personne ne savait pas ce qui allait se passer. Mais quand ceux qui s’occupent de Rapho maintenant me font des demandes, je donne mon accord. Bien sur, sur le plan financier ce n’est plus ce que c’était… Mais les prix ont tellement changé ! Mes deux derniers relevés sont un peu maigres. Le dernier s’élevait à 470 euros… »

« Personnellement je n’ai pas à me plaindre » dit Hans Silvester « mes relevés de parutions sont en hausse, mais il faut dire que je continue à travailler beaucoup ! Et puis, vous savez, certains photographes ne se rendent pas bien compte combien les temps ont changés. L’époque ou, à Rapho, tout le monde s’arrêtait pour prendre le thé est révolu ! Tenez, c’est une anecdote révélatrice : j’étais récemment à New York. Jadis Times-Life occupait un immeuble entier. Aujourd’hui, ils ont loués presque tous les étages à d’autres sociétés. Donc il faut que nous les photographes nous nous adaptions au monde du XXIème siècle… »

« Nous avons signé un accord de diffusion en janvier dernier avec François Lochon » précise Francine Deroudille-Doisneau, l’une des deux filles de Robert Doisneau « C’est tout neuf, mais pour le moment je suis ravie. Je ne sais pas comment cela va évoluer, mais après tant d’années de galère avec des gens qui parlaient très poliment mais ne faisaient rien, nous avons maintenant un interlocuteur qui connait la photo, l’aime et avec qui on peut parler franchement. On lui reproche d’être brutal, mais il vaut mieux quelqu’un qui dit les choses nettement et agit, que l’inverse. « De plus » ajoute t elle « je dois dire qu’il tiens ses engagements et que lorsque nous décidons quelque chose, nous voyions que c’est mis en pratique la semaine suivante. »

L’accord avec Getty images ? « Personnellement je n’y vois aucun inconvénient. Au contraire, car les dernières années nous étions sans arrêt obligé de relancer une multitude d’agents étrangers pour récupérer les droits des parutions. Avec Getty, pour l’instant, je constate que ça marche très bien. Et puis franchement, je m’entends très bien avec François… Bien sur, notre cas est particulier : nous représentons une collection constituée, ce n’est pas la même chose que pour des photographes qui travaillent encore ou qui débutent. En tout cas, il est courageux de s’être attelé à pareille entreprise.»

L’homme des défis

Courage et brutalité, sont les deux mots que l’on entend le plus souvent à propos de François Lochon. « Il m’a traité de tous les noms… Il m’a insulté. » s’exclame François Caron jadis vendeur vedette de Gamma, définitivement très en colère après le patron de Gamma-Rapho. « En septembre dernier à Visa pour l’image, il ne m’a pas lâché d’une semelle pendant trois jours : il voulait faire un accord de diffusion avec Getty images dont j’étais consultant depuis janvier 2006. Comme lui, j’aime Gamma. Cette agence a fait de nous ce que nous sommes, c’est notre vie. Nous avons longtemps travaillé ensemble, et quand il m’a annoncé qu’il reprenait Gamma, je lui ai promis de l’aider. C’est ce que j’ai fait : il a signé avec Getty un accord de diffusion pour le monde entier, sauf la France, pour toutes les archives de Gamma, Keystone, Rapho etc.… »

« En février dernier » poursuit François Caron « Getty cherchait à faire des économies et ce type, que j’ai aidé, que j’ai soutenu, n’a rien trouvé de mieux que de suggérer aux patrons de Getty de me virer ! » Honnête, l’ancien vendeur de Gamma, reconnait que son contrat venait à expiration et qu’il avait été prolongé pour qu’il passe deux, trois jours par semaine à Gamma-Rapho pour aider l’agence à mieux intégrer les archives dans la base de Getty Images. Mais c’est un fait, que son contrat avec Getty a pris fin. « Avec eux, je suis en bon terme. J’ai eu droit à un pot de départ très sympathique. Je n’ai rien a reproché à Getty, par contre Lochon… »

Interrogé sur ce point, François Lochon ne nie pas. « Ce n’est pas moi qui l’ai licencié, c’est Getty… Mais bon, c’est vrai qu’il m’a beaucoup déçu. J’espérai un peu d’imagination, de créativité, mais ce type est de l’ancienne école… Tu comprends coco, les vendeurs d’agences ont créés une légende, celle des types qui arrachent aux magazines des prix de folie pour une photo… Mais quand tu as un scoop dans les mains, même mon chien saurait le vendre ! Au siècle dernier, on pouvait se payer des coursiers de luxe, au XXIème ça ne se passe plus comme ça !»

Aujourd’hui, tout passe par Internet. La production des photographes arrive par le réseau et les clients se servent dans des bases accessibles sur le web. Mais, c’est encore aujourd’hui, le point faible de la nouvelle société Gamma-Rapho qui a hérité d’un système informatique obsolète. D’où l’importance pour l’avenir de l’accord avec Getty images, d’où également des investissements indispensables à faire rapidement dans ce domaine.

« En un an on a été obligé de réindexer aux normes Getty 235 000 photos de Gamma et 61 000 de Keystone » précise François Lochon « Cela veut dire ouvrir chaque fichier à la main pour changer les indexations (IPTC), c’est du boulot, et ça a un coût ! »

Pour Hervé Tardy, directeur de la société Copyright, ancien de Gamma, appelé par François Lochon pour un « audit bénévole » le principal défi de la nouvelle société est bien là et, ajoute t il prudemment dans les économies a faire. Impossible de lui en faire dire plus. Pourtant de l’avis général « l’ambiance est bonne boulevard Arago. Contrairement à la rue d’Enghien (siège d’Eyedea/HFM) où tout était cloisonné, avec l’open space on se parle… » confie une salariée.

Mohamed Lounès, délégué du personnel et délégué syndical approuve : « ça va beaucoup mieux, mais la direction peut encore mieux faire… » Incontestablement il faut que Gamma-Rapho fasse mieux, vende plus, car la société continue à perdre quelques dizaines de milliers d’Euros par mois. « On a fait 3,2 millions d’euros de chiffre d’affaires sur les douze premiers mois » précise François Lochon.

« On va faire mieux parce que la machine Getty se met en marche et les ventes augmentent chaque mois, mais cela ne suffit pas. Il faut faire des économies. J’ai repris 27 salariés, dont quelques salaires confortables, et je veux absolument arriver à l’équilibre fin 2011. Il n’est pas question que je licencie mais je ne remettrai pas au pot pour combler le déficit. Je veux bien réinvestir mais pour l’avenir, pas pour le passé. »

Le passé, justement, il en est régulièrement question au tribunal de commerce de Paris où se jouent plusieurs batailles juridiques. D’un côté Maitre Valliot, administrateur judiciaire a lancé une attaque contre les anciens actionnaires Green Recovery et Verdoso Medias pour lever l’hypothèque – une fiducie – portant sur les fonds d’archives, principalement Keystone et Gamma. Attaque reprise à son compte par Maitre Gorrias liquidateur judiciaire. D’un autre côté, les anciens actionnaires – qui se battent entre eux – s’opposent au jugement du 6 avril qui a confié les fonds à François Lochon… Pour eux, le tribunal a cédé des fonds d’archives dont ils sont propriétaires. Depuis un an, la guérilla juridique se poursuit. Pour le moment les affaires sont renvoyées au 17 mai, mais il est fort probable que rien ne sera encore tranché à cette date, et que la bataille va se poursuivre de long mois.

Sans attendre, nullement inquiet pour ces tracasseries juridiques et les « qu’en dira t on » François Lochon poursuit imperturbablement son chemin à la tête d’un des plus important fonds mondial de photojournalisme. « Tu sais coco » me dit-il dans son style habituel « ils ne peuvent pas me comprendre. Moi, la mort je sais ce que c’est… Chaque jour qui passe je me bats et je profite de la vie. Bon.. Excuse moi, je te laisse il faut que j’embarque j’ai rendez-vous à Rome avec Jean-Paul…»

C’était samedi 30 avril, et le patron Gamma-Rapho partait « couvrir » la béatification de Jean Paul II dont il a suivi à l’époque de nombreux voyages. « Après le Japon, j’étais déjà radioactif, dimanche, je reviens béni ! Tu vas voir coco que Gamma-Rapho est bien vivant ! » lance t il dans le téléphone avec un grand rire.

Michel Puech

 

http://www.gamma-rapho.comDernière révision le 28 décembre 2023 à 11;20 par Rédaction d’a-l-oeil.info