Avec trois World Press, deux Prix Paris Match, deux Pictures Of the Year International (POYI), sans oublier un Prix Bayeux-Calvados et quelques autres distinctions, Olivier Laban-Mattei, à 37 ans, est un reporter chevronné. A Visa pour l’image, il présente The Mongolian project jusqu’au 15 septembre 2014.
En 1999, Olivier Laban-Mattei débute dans le métier comme freelance après des études de géographie et de sociologie. Il devient correspondant pigiste pour l’AFP en Corse, le pays d’origine des Mattei, sa branche maternelle. Laban, par son père, il est des confins du Gers et du Béarn. Mais c’est la Corse qui le marque le plus.
A Perpignan, où une exposition est consacrée à son travail en cours en Mongolie, une casquette de vieux paysan protège ses beaux yeux clairs. Un regard un peu triste. Comme l’écrit joliment le grand reporter Jean-Paul Mari, auteur de « Sans blessures apparentes », « il est un peu abîmé ».
Comme tant d’autres photojournalistes, mais peut-être un peu plus en raison de sa grande sensibilité, Olivier Laban-Mattei en a déjà trop vu.
En 2011, il a été confronté à l’agonie et à la mort de son ami, le jeune photographe Lucas Dolega. Envoyé pour couvrir le tremblement de terre d’Haïti, il fait la « plaque », un homme jetant à la volée le corps d’une fillette sur un tas de cadavres.
La photo fait le tour du monde. On le félicite, mais on ignore qu’il a échappé de peu à la mort dans les rues de Port-au-Prince. Les policiers tirent sur les pillards. Un haïtien lui sauve la vie mais perd la sienne.
Quand il rentre à l’hôtel, Jean-Paul Mari fume un de ses gros cigares. En le voyant, il sait et lui conseille de rentrer à Paris. L’AFP ne lui laisse pas le choix. Il doit rentrer…
Il est frustré de ne pas pouvoir couvrir la suite des évènements. Il démissionne d’une agence où beaucoup de photographes voudraient travailler. Travailler à l’AFP c’est un salaire qui tombe à la fin du mois et la retraite assurée. Une situation enviable pour tous les saltimbanques du photojournalisme. Mais Olivier-Laban Mattei est un homme de conviction qui fuit les compromis.
Alors, comme chaque année, l’été, il part en voyage avec Lisandru, son jeune fils. La destination ? Ni les Seychelles, ni les Bahamas, mais la Mongolie, un pays du bout du monde. Un pays que la presse ignore, sauf à la rubrique « tourisme » pour ses « étendues désertiques magiques ».
Un voyage à quatre mains avec deux paires d’yeux qui donnera en final un émouvant et surprenant livre « Mongols » paru en mai 2013 chez Neus, une petite société qu’il a fondée avec une poignée d’amis photogaphes.
« The Mongolian Project »
« Le premier voyage que j’ai fait là-bas, c’est avec mon fils. On voulait chacun poser un regard neuf sur un pays en mutation. La société mongole se transforme rapidement. L’idée était de raconter la vie des mongols. On a fait des photos tous les deux. En passant du temps en Mongolie, j’ai compris qu’il fallait s’attarder pour bien comprendre… Ce n’était pas un sujet qu’on pouvait traiter en deux, trois semaines. Alors, j’y suis retouné plusieurs fois seul, avant de me décider à y habiter. Depuis un an, je vis là-bas. »
La Mongolie n’est pas cette terre bénie des dieux
« Je suis parti sur une thématique environnementale. Il y a un boom minier qui entraîne des bouleversements dont les conséquences peuvent être dramatiques pour la population en raison des pollutions. »
« L’idée est de traiter d’un certain nombre de thématiques sociétales et de rendre des comptes directement aux mongols. Quand on est reporter, bien souvent, on travaille sur une zone et puis on exporte notre travail. Très rarement ce travail revient vers les populations. »
Olivier Laban-Mattei constitue alors une petite équipe de journalistes freelance installés à Oulan-Bator, la capitale. « Nous, nous avons voulu leur rendre des comptes et donc nous avons créé un site web, une page Facebook et une exposition…. Ensuite nous voulons mettre en relation des acteurs sociaux mongols avec d’autres habitants ailleurs. »
L’entreprise est passionnante, mais difficile. Il y a d’abord l’obstacle de la langue. Le photographe prend des cours de mongol pour pouvoir dire quelques mots, mais le mongol requiert des années d’étude. Il travaille donc avec un traducteur. « Les mongols sont méfiants avec les étrangers » mais, quand ils comprennent qu’il habite le pays, les relations se détendent. « Et puis Oulan-Bator est un gros village. Tout le monde se connaît. »
Le plus grand obstacle c’est évidemment l’argent. La presse a peu d’intérêt pour ce pays d’autant que le photogaphe a choisi de travailler en N&B. Alors Olivier Laban-Mattei vit sur ses économies et grâce au don d’un généreux mécène… Au bout d’un an, la trésorerie est à plat et l’avenir du Mongolian Project » est en question. « Ceux qui veulent nous aider peuvent prendre contact avec nous par le biais de notre site web » précise le photographe. Il le mérite.
Michel Puech
Ecoutez l’interview intégrale d’Olivier Laban-Mattei par Michel Puech sur WGR, la radio des grands reporters et écrivains voyageurs.
The Mongolian Project
par Olivier Laban Mattei
Non, définitivement, la Mongolie n’est pas cette terre bénie des dieux annoncée comme providentielle par les médias du monde entier, cette terre promise pour quiconque voudrait y chercher fortune. Au contraire. Même si l’exploitation intensive des grandes richesses du sous-sol apporte d’importants revenus au pays, elle engendre également de plus en plus d’inégalités sociales et génère de graves conséquences environnementales et sanitaires, dont les premières victimes sont les Mongols eux-mêmes.
Les maladies liées à la pollution de l’air, de l’eau et des sols ainsi qu’à l’insalubrité, prolifèrent à un rythme effrayant, dans le plus grand déni des autorités qui s’acharnent à donner une image lissée et paradisiaque de leur pays pour attirer toujours plus d’investisseurs et de touristes.
Depuis la chute du régime communiste et l’accession de la Mongolie à la démocratie et à l’économie de marché, de nombreuses structures publiques se sont effondrées, faute de financements conséquents. L’agonie du système de santé et la décrépitude du système éducatif sont représentatives du désintérêt de l’État à mener une politique de développement cohérente et durable pour le bien de sa population. La corruption gangrène chaque strate de la société.
Parfois très organisée, comme dans les hautes sphères décisionnelles où les enjeux miniers font la fortune des nantis, elle est aussi à l’occasion, au sein des classes moyennes, une façon de survivre et de pallier la faiblesse des salaires. L’inflation et l’augmentation du coût de la vie ces dernières années contribuent fortement à l’enracinement de ce système pervers.
Paradoxalement, à mesure que les capitaux des entreprises minières enrichissent le pays, la pauvreté progresse et s’installe durablement en ville comme en steppe. La promesse d’une meilleure répartition des richesses n’a pas été tenue et la grogne commence à monter au sein de la population.
L’exode rural entamé au début des années 2000 continue à étouffer Oulan-Bator, le seul véritable centre économique et politique du pays.
Les 60 000 nouveaux migrants qui s’installent chaque année à sa périphérie, l’engorgement du trafic automobile en son centre et la forte consommation du charbon de chauffage en hiver en ont fait une des capitales les plus polluées de la planète.
Dans les campagnes, la situation n’est guère plus encourageante. Dans certaines régions, le pastoralisme traditionnel se voit remplacé par un élevage intensif fondé sur le seul profit immédiat et dont la conséquence directe est la désertification de vallées entières, alors que les exploitations minières mettent en péril les écosystèmes, comme dans le désert de Gobi où les nappes phréatiques sont menacées d’assèchement.
Ainsi il devient urgent pour la Mongolie d’élaborer une politique de développement global et diversifié sur le long terme. D’éviter à tout prix le « tout-minier ». De promouvoir d’autres secteurs d’activité créateurs d’emplois.
Avec moins de trois millions d’habitants et à peine un tiers de personnes actives – dont un grand nombre souffrent de maladies graves -, il est difficile de comprendre pourquoi l’État ne se soucie pas davantage de la population afin de pouvoir se développer en toute sérénité.
La Mongolie est aujourd’hui un pays fragile, à l’image de sa capitale, assise sur une faille sismique et menacée de destruction.
Olivier Laban Mattei
Pour aller plus loin
Site personnel d’Olivier Laban-Mattei
Site du Mongolian Project
Site de l’agence Myop qui diffuse le travail d’Olivier Laban-Mattei
Et tous les articles d’A l’oeil sur Olivier Laban Mattei
A lire
Mongols d’Olivier Laban-Mattei et de Lisandru Laban-Giulani Editions Neus (36 euros)
Sans blessures apparentes de Jean-Paul Mari Editions Robert Laffont (20 euros)Dernière révision le 15 avril 2024 à 10;49 par Michel Puech
- Gael Turine à Visa pour l’image
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