S’il est bien un domaine où la France est certainement championne du monde, c’est celui des festivals culturels. En 2019, on en comptait pas moins de 7 300 sur l’ensemble du territoire, variant énormément en réputation comme en nombre de visiteurs. Quatre sur dix sont consacrés à la musique mais la photographie n’échappe pas au phénomène, loin de là.
Dans l’ombre des quelques mastodontes comme Arles ou La Gacilly, vivent ou survivent pléthore de manifestations plus modestes, parfois fragiles et seulement portées par de courageux bénévoles. Il est à Saint-Brieuc un festival qui se distingue par un fort engagement des pouvoirs locaux et des résidences photographiques particulièrement bien dotée et soutenues.
Bien qu’étant le rejeton d’une première initiative en 2012 baptisée Photo Reporter qui se consacrait au photojournalisme, la manifestation a depuis bien évolué, prenant ses distances avec l’intention initiale. Après plusieurs éditions où le regard était porté vers l’extérieur, il s’agit maintenant de se tourner vers le territoire briochin pour rendre compte de son identité. Huit autrices et auteurs sont allé(e)s à la rencontre de la région, de son histoire, de ses habitants et des enjeux sociaux qui la traversent. Cela s’est concrétisé lors de sept résidences simultanées, chiffre très exceptionnel si ce n’est unique, d’autant que la prestation des photographes a été bien rémunérée et que les conditions de travail furent confortables.
Morgane Delfosse témoigne de l’épopée des terres-neuvas, ces marins intrépides qui allaient pêcher la morue à Saint-Pierre-et-Miquelon et dont l’aventure a laissé une forte empreinte dans le paysage et les mémoires : « J‘ai travaillé sur le lien entre la baie de Saint-Brieuc et Saint-Pierre-et-Miquelon où il y a eu des siècles de pêche avec des marins qui partaient d’ici, de Normandie, de tout le nord de la Bretagne et du Pays basque également. L’idée, c’était d’aller chercher des traces de cette mémoire qui est maintenant lointaine en baie de Saint-Brieuc et beaucoup plus vive outremer, parce que la grande pêche a cessé là bas seulement à la fin du siècle dernier. C’est encore très très vif et il y a beaucoup de nostalgie là bas, que j’essaie de raconter dans les textes qui accompagnent les images. »
La photographe Camille Cier et le graphiste Rafael Wolf se sont associés pour aller à la rencontre des jeunes de Saint-Brieuc pour recueillir leurs témoignages sur l’égalité femmes-hommes : « Il y a vingt ans, on avait vingt ans. Est-ce qu’il y a des choses qui ont changé ? Est-ce que toutes ces thématiques ont bougé ? Est-ce que ça avance ? On est partis à la rencontre de jeunes Briochins et Briochines qui ont tous un regard un peu différent. Et on s’est aperçu qu’il y avait encore d’énormes interrogations, que tout n’était pas réglé loin de là, que les hommes avaient un peu de mal à parler de ce sujet. »
Nadine Jestin s’est demandé comment on pouvait marquer le monde qui nous entoure en se penchant sur le parcours de Lucien Rosengart, un homme qui fut un ingénieur et un inventeur prolifique à qui l’on doit les essuie-glaces, l’ancêtre de la ceinture de sécurité, le boulon inoxydable, l’éclairage de vélo, le premier moteur hors-bord et même, selon certains, le baby-foot ! « Je suis très heureuse d’avoir pu raconter la vie de cet homme. J’aime les belles voitures, mais je ne suis pas passionnée de mécanique. J’essaye de comprendre comment on doit mener sa vie, je m’inspire de gens dont j’admire le parcours et Lucien a une vie faite de plusieurs chapitres. C’était quelqu’un de très passionné qui ne rentrait dans aucune case. Pour raconter la trajectoire de celui qui ne cherchait pas la lumière, j’ai rencontré des gens qui sont passionnés par les mêmes thèmes que lui et je me suis aussi donné beaucoup de liberté dans une approche plurielle, avec de la mise en scène comme des tableaux d’objets, des photos plus classiques et aussi beaucoup de superposition en postproduction. »
Marc Loyon a pu franchir les portes d’entreprises locales habituellement difficilement franchissables pour qui n’y travaille pas. « L’idée était d’entrer dans ces lieux industriels qui sont souvent fermés pour des raisons de sécurité, d’hygiène, de secret de fabrication et de faire un portrait général vu de l’intérieur. Je ne pouvais pas aller partout donc j’ai d’abord listé les entreprises qui me paraissaient importantes pour leur côté historique ou patrimonial. L’impression générale, c’est d’avoir pu pénétrer dans des lieux extraordinaires et surprenants. Je pense à Saint-Brieuc Fonderie, par exemple, qui est une sorte de cathédrale au milieu du centre-ville dont on est loin d’imaginer l’intérieur. Et puis l’agroalimentaire, la métallurgie, la brosserie, des lieux très différents, de l’aérospatiale à des ateliers de découpe de viande. »
Dans le droit fil d’un précédent projet axé sur le monde paysan, Victorine Alisse est partie en quête de celles et ceux qui nous nourrissent, pêcheurs et agriculteurs, là où la convivialité côtoie la dureté du travail. « J’ai sillonné l’agglomération à la rencontre des agriculteurs, de celles et ceux qui nous nourrissent, que ce soit sur terre ou en mer. L’idée, c’était de partir à leur rencontre sans prendre de rendez vous au préalable, d’être dans une approche spontanée. Ce que j’ai essayé de montrer à travers ce travail, ce sont les gestes transmis de génération en génération, les mains qui sont sculptées par le travail et les éléments. J’ai beaucoup d’admiration pour ces métiers qui sont difficiles et j’ai voulu aussi montrer un peu l’âme de cette vie.
Au programme également, un regard différent sur le handicap qu’il soit visible ou non par Gwenaël Courtin, et la pratique du skateboard par Martin Bertrand.
Rencontre avec Hélène Duréchou
Responsable du service médiation culturelle et coordinatrice du festival
« Initialement, le festival a été créé en 2012 sur un format de bourse pour les photographes qui partaient faire des reportages un petit peu partout dans le monde. Cela a duré jusqu’en 2017, permettant de produire des dizaines de travaux et de les exposer dans le cadre de ce qui s’appelait alors Photo Reporter. Puis, il y a eu une évolution sur la ligne artistique pour s’ouvrir à d’autres thématiques, d’autres esthétiques, d’avoir un champ plus large pour permettre aussi au public de découvrir des expositions un peu différemment. En 2019, Photo Reporter est devenu photo festival et, en 2021, nous avons introduit un changement de format de l’événement, passant de quatre semaines à l’automne à quatre mois sur le printemps et l’été. Également, toutes les expositions sont maintenant présentées en extérieur. C’est le souhait de pouvoir aller directement à la rencontre des visiteurs, de la population briochine et de l’agglomération dans un souci d’accessibilité. La période nous permet aussi de toucher un public scolaire. Il y a eu aussi le choix des élus de passer cette année à une programmation tous les deux ans afin de pouvoir mieux travailler en amont sur la préparation et la production. Donc 2023 est l’année du renouveau et de la stabilisation après des années Covid qui avaient empêché la mise en place des médiations tel que cela avait été envisagé. Aujourd’hui, on accueille un public assez large qu’on ne touchait pas précédemment. Et nous faisons découvrir ou redécouvrir la ville en suivant le parcours des expositions.
Le premier enjeu important du festival pour l’agglomération, c’est cet outil de médiation culturelle qui est porté par la volonté de la direction de la culture. Il y a aussi une volonté de rayonnement, de faire connaître et valoriser notre territoire, toutes les expositions étant liées à ce thème. Produites ici, sur des thématiques très variées, c’est un regard porté sur notre région à destination des habitants pour qu’ils s’approprient l’événement et aussi d’un public touristique qui nous rend visite.
Des appels à projet ont été lancés en juillet dernier avec pour fil rouge notre territoire sans qu’il soit nécessaire d’y habiter pour pouvoir postuler. L’enveloppe budgétaire est de 130 000 euros, un peu plus que précédemment, le passage en biennale permettant de dégager du budget. Le financement est entièrement supporté par l’agglomération mais on souhaite s’ouvrir au mécénat pour apporter des ressources supplémentaires. Cela s’accompagne également de la mise à disposition de moyens humains et matériels.
Chaque photographe a bénéficié de vingt-cinq jours de travail rémunérés 2 500 euros, plus autant pour les droits. S’y ajoute la prise en charge de tous les frais (transports, mise à disposition de véhicules, repas, hébergements, etc.) afin que tout se passe dans les meilleures conditions. »
Propos recueillis par Gilles Courtinat
Le festival, du 15 avril au 27 août 2023
Les sites Internet des auteurs photographes
- https://www.marcloyon.com/
- https://www.nadinejestin.fr/
- https://www.morganedelfosse.com/
- https://gwenaelcourtin-photographe.fr/
- https://hanslucas.com/ccier/photo
- https://www.instagram.com/rafaelwolph/
- https://victorine-alisse.format.com/
- https://hanslucas.com/mbertrand/photo
Dernière révision le 23 janvier 2024 à 7:49 pm GMT+0100 par le secrétaire de rédaction
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