Affaire Eyedea

30 millions de clichés dans un hangar ?

 

Le 3e fonds mondial de photographie de presse  va-t-il finir dans d’improbables hangars? C’est l’angoissante et très concrète question qui hante aujourd’hui les centaines de photographes et les 70 salariés des agences de presse achetées en novembre 1999 par le groupe Lagardère et revendues en janvier 2007 à la société de « retournement » Green Recovery pour éviter un redressement judiciaire dévalorisant les actions en bourse du groupe Lagardère. Résultat : le 30 mars prochain le groupe Eyedea peut être mis en liquidation pure et simple. Le sort des fonds photographiques serait alors totalement incertain.

Il y a un cinquième repreneur plaisante amèrement Mohamed Lounes, secrétaire du comité d’entreprise, 31 ans d’ancienneté chez Gamma. Il s’appelle Paul… Pôle emploi ! . Rue d’Enghien les mines sont fatiguées, les regards inquiets. 73 salariés sont sur la sellette dont une cinquantaine sait déjà qu’elle doit chercher du travail. Les quatre candidats à la reprise du groupe Eyedea ne garderont pas plus d’une vingtaine d’entre eux.

Et puis il y a cette dizaine de milliers de photographes qui, un ou chaque jour, ont déposé leur images dans l’une de cette grosse douzaine d’agences rassemblées au fil du temps. On évalue, sans qu’aucun inventaire sérieux n’ait été fait à 30 millions le nombre de clichés !

L’histoire que je vais vous narrer est longue et complexe, mais je vous prie instamment de la lire avec attention. C’est l’actualité d’un métier qui souffre, mais surtout une avant-dernière tranche de l’histoire de la photographie du XXème siècle.

Notre album de photos

13 et 14 rue d’Enghien à Paris, 9ème arrondissement, dans les sous-sols de deux bâtiments les reportages photographiques des agences Keystone, Reporters Associés, Stills, Top, Jacana et d’autres agences sont archivés. Au 14 rue d’Enghien sont stockées les photos de Gamma, l’agence de Gilles Caron, de Michel Laurent et d’autres reporters tombés sur les champs de bataille. Il y a là le travail de milliers de collaborateurs célèbres ou inconnus. En face au 13, on trouve les images de Rapho, l’agence où Barbara et Raymond Grosset ont su rassembler l’essentiel de la photographie humaniste, celles des Robert Doisneau, des Willy Ronis ou celle des « photographes-voyageurs » les Sabrina et Roland Michaud, les Hans Silvester et tant d’autres talents.

On ne peut citer ici toutes les femmes et les hommes qui munis de plaques de verre et de chambres de prise de vue, de films noir et blanc et de Rolleiflex ou de Leica, de films Kodachrome, Ektachrome, de Nikon, de Canon, ou depuis dix ans de cartes mémoires enfichées dans les derniers appareils numériques, ont couru le monde pour témoigner des vies de nos grands-parents, de nos parents, de nous-mêmes, ou tout simplement, comme tous les artistes, exprimer leurs visions de notre monde.

Toutes ces vies, toute cette sueur, toutes ces larmes et tout ce sang versé constituent in fine un fonds photographique de près de 30 millions d’images, le 3ème fonds mondial, un regard exceptionnel sur notre histoire.

Les millions de visiteurs des expositions qui chaque année font la queue à Paris, à New York, à Buenos Aires, à Tokyo comme à Perpignan, à Vendôme ou au fin fond du Texas pour voir les images de ces photographes, qualifient ce fonds exceptionnel de « Trésor national ».

En 1987, Frédéric Mitterrand, pas encore ministre de la Culture, avait écrit un film et un livre « Tous désirs confondus » (Editions Actes Sud) uniquement sur l’agence Rapho où il exprimait le souhait que chacun « un jour (ait) la chance de connaître la même joie » que lui à consulter ces archives. Dans un précédent article, je lui lançais un appel public… Il y est, semble-t-il, resté sourd.

Or aujourd’hui, non seulement l’accès mais la conservation de ce Trésor national est menacé à très court terme : le 30 mars prochain, dans huit jours, le Tribunal de commerce va trancher.

Si tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère viendra à toi

Pour comprendre ce drame, il faut remonter un peu le temps. Septembre 1999, « On regarde. On y réfléchit» déclare à Raphaël Garrigos de Libération, Arnaud Lagardère, alors co-gérant du groupe du même nom, à propos du rachat de l’agence Gamma.

Un mois plus tard c’est fait : Hachette Filipacchi Médias (HFM), a acquis 75% de la société AGI, détentrice à 100% de Gamma et d’un stock de plus 12 millions de clichés. A cette époque l’agence déclare diffuser 100 000 nouvelles photographies par an.

Septembre 2000 : après de longues négociations, HFM fait deux acquisitions importantes pour étoffer son futur «pôle européen de la photographie» en achetant l’agence Keystone (15 millions de photos) et, en décembre 2000, la prestigieuse agence Rapho. Elle a déjà en portefeuille les agences Hoa-Qui et Jacana et s’apprête à acquérir une agence anglaise Katz. Hafimages, une filiale d’HFM doit coiffer ce fameux pôle qui ambitionne de « numériser « entre 1 et 1,5 million de photos sélectionnées dans les différents fonds » selon les déclarations faites lors du festival Visa pour l’image à Perpignan.

Entre septembre 2000 et décembre 2006, ces agences vont déménager pour être regroupées en février 2005 dans les deux bâtiments rue d’Enghien. Dans la même période une demi-douzaine de directeurs généraux Messieurs Pierre Boissier, Serge Viguier, Jean-Jacques Blanc, Daniel Digne, Jacques Galvani, Bertrand Eveno, vont se succéder à la tête de cette filiale du groupe Lagardère avec des politiques éditoriales et des stratégies commerciales aussi variables que les noms utilisés pour définir la société : HFM, Hafimages, Hachette Photos, Groupe Hachette Filipacchi Photos…

A l’heure où Corbis et Getty imposent leurs marques sur le marché, les clients ne savent plus comment nommer ce «pôle européen de la photographie » … et encore moins quel mot-clé taper dans Google !

Dans la même période (2000-2006) Cyril Drouhet, Romain Clergeat et Didier Rapeau, Georges Merillon et Estelle Veret vont successivement faire leur possible pour diriger la rédaction de Gamma quelque peu rebelle et, où certains croient voir l’occasion d’étoffer leur prochaine retraite en multipliant les revendications et les procédures. Aujourd’hui, dans le dossier des candidats repreneurs d’Eyedea il y a pour plusieurs dizaines de millions d’euros de demandes d’indemnités pour diverses raisons. Les temps sont très très durs. Les photographes sont à la peine, particulièrement ceux de plus quarante ou cinquante ans… Qui peut leur jeter la pierre ?

En septembre 2005, Anne-Marie Couderc, directrice générale adjointe d’HFM et présidente de Hachette Filipacchi Photos, à l’origine de toute cette opération, annonce encore au Figaro : « Hachette Photos à l’équilibre en 2007».

Pourtant les comptes restent dans le rouge, et il devient évident qu’un redressement judiciaire est inévitable si le groupe Lagardère renonce à poursuivre sa politique d’investissement dans ce marché de plus en plus difficile où les prix de vente s’effondrent chaque année un peu plus.

Le feu passe au vert

Le 24 janvier 2007, un bref communiqué de presse annonce qu’au « terme de négociations exclusives, engagées en décembre dernier, Hachette Filipacchi Medias et Green Recovery ont confirmé, le 22 janvier, être parvenu à un accord portant sur la vente de la totalité de l’activité photos d’Hachette à Green Recovery, pour un montant non divulgué. Monsieur Stéphane Ledoux, jusqu’à présent Président directeur général de la Cité de l’Image, prend la direction des agences.

En réalité ces négociations ne sont pas « exclusives ».

Il y a deux candidats repreneurs : une société de « retournement » Green Recovery et Bertrand Eveno, ancien PDG de l’Agence France Presse. Bertrand Eveno est depuis décembre 2005 le patron d’Hachette Filipacchi Photos. Il a alors me dit-il le 18 mars 2010 «un accord verbal avec Gérald de Roquemaurel» (ndlr : un baron d’Hachette) pour prendre la succession et son projet s’appuie sur Franck Ullmann de Verdoso Media, un fonds d’investissement. Mais Gérald de Roquemaurel n’est plus l’homme du jeune Lagardère pour cette vente et le tandem Eveno-Ullmann est évincé au profit de Green Recovery. Pourquoi ?

L’accord final est le suivant : Green Recovery verse 600 000 euros d’une main au groupe Lagardère qui lui met dans l’autre main 6 millions d’euros pour assurer la trésorerie… Dès lors, le fameux «pôle européen de la photographie» qui avait déjà perdu le sud, va perdre le nord.

La rue d’Enghien est complètement à l’ouest

Dans cette historique descente aux enfers, sautons rapidement les années 2007 et 2008. J’aurai probablement l’occasion d’y revenir ultérieurement si une liquidation judiciaire est prononcée la semaine prochaine et qu’une enquête financière est ouverte compte tenu du passif extravagant du groupe Eyedea par rapport au chiffre d’affaires.

Automne 2008, c’est la crise pour tout le monde. Au printemps 2009, Stéphane Ledoux et Olivier Bloud ont les résultats consolidés de l’exercice 2008. Ce n’est plus LA crise, mais la catastrophe qui se profile à l’horizon pour les dirigeants. Ils en parlent à leurs associés de Green Recovery devenu Green Recovery II : Christophe Talon, le président, l’actif Philippe Denavit et Bernard Grouchko.

« Les Green » comme on les appelle rue d’Enghien ont déjà « remis au pot ». Combien ? Les chiffres varient de zéro à 3,5 millions d’euros. Naît alors une idée simple, « un truc légal » pour dit-on «rassurer de futurs associés». Qui a eut l’idée ? Difficile à dire dans le jeu de poker-menteur auxquels tous sont attablés actuellement, mais cela ne peut venir que des principaux bénéficiaires du « truc ».

Le « truc légal » a un nom : une fiducie-sûreté

Fiducie-sûreté ? La majorité des lecteurs – comme moi il y a quelques semaines – n’a jamais entendu le terme, exceptés les juristes et les agrégés de latin. Pourtant, la fiducie-sûreté existait déjà dans l’Egypte pharaonique et la Grèce. La Rome antique en a défini les règles sous le nom de fiducia (de fides: la confiance). Tout un programme. Il s’agit alors de transférer en pleine propriété un bien sous conditions de restituer ce même bien selon des circonstances déterminées. Dans le droit français, la fiducie avait disparu depuis bien longtemps en raison des risques et des abus qu’elle permet.

Elle était illégale en France, mais pratiquée en Suisse, au Luxembourg et sur quelques îles lointaines. Mais, peu à peu, elle renait dans l’esprit mais pas dans la loi sous forme de vente à réméré, de cession Dailly, ou de titrisation de créances par exemple. Il faut attendre 2007 pour que la fiducie réapparaisse timidement mais sûrement dans le Code à la faveur de trois lois et de deux ordonnances en deux ans !

En deux ans ? En 2009 donc !

En ce début d’été 2009, deux actes majeurs soigneusement préparés au printemps sont mis en œuvre d’une part par la direction du groupe Eyedea, d’autre part par « les Green ». Qui sait quoi de ce que fait l’autre ? Il reste les faits :

1/ Mise en œuvre d’un redressement judiciaire de la société Eyedea-Presse (Gamma-Stills) et d’un nouveau plan social qui vise à « dégraisser le mammouth » en licenciant 35 personnes sur les 55 de la société Eyedea-Presse (ndlr : le groupe en compte 73). Objectif annoncé par la direction : « La mise en redressement judiciaire devrait permettre à la direction du groupe Eyedea d’obtenir le temps nécessaire à la mise en place d’un plan de continuation d’Eyedea Presse.» Peut-être. Le tribunal accorde six mois de délai.

2/ Constitution d’une fiducie-sûreté pour «rassurer de nouveaux investisseurs». De fait, le 29 juin 2009, est rédigée une convention de fiducie-sûreté entre la société Eyedea Illustration représenté par Monsieur Olivier Bloud dénommé le « Constituant » et la société CMD (un cabinet d’avocats) représenté par Marc Dumon dénommé le « Fiduciaire » en présence de la société Green Recovery II est représenté par son Président Christophe Talon dénommé « Bénéficiaire ».

Que nous apprend cet acte de fiducie-sûreté ?

1/ Le 2 février 2007, soit au moment de la « vente », Hachette Filipacchi Presse (HFP) a bel et bien consenti un prêt de 6 millions d’euros à Eyedea Illustration et à Eyedea SA solidairement.

2/ Le 15 mai 2009 un protocole de conciliation avec HFP a été signé au terme duquel HFP a cédé les 6 millions d’euros à Green Recovery II. Acte homologué le 24 juin par le Tribunal de Commerce de Nanterre.

3/ Le contrat de prêt initial a été modifié de façon à ce que les 6 millions d’euros soient remboursés pour 3 millions d’euros par Eyedea SA et 3 millions par Eyedea Illustration.

4/ Il est mis fin à la solidarité entre les sociétés Eyedea SA, Eyedea-Presse, Eyedea-Illustration

5/ Green Recovery II devient créancier pour 3 millions d’euros d’Eyedea-Illustration et pour 3,5 millions d’euros (des apports en compte courant) d’Eyedea SA soit un total de 6,5 millions d’euros …

On peut comprendre alors qu’avec une telle créance Green Recovery II veuille prendre ses précautions. L’argent c’est l’argent, et qu’est-ce qui peut bien garantir une telle somme sinon de l’argentique ?

Cette fiducie-sûreté stipule donc que les actifs qui garantissent cette dette sont :

1/ « L’ensemble des photographies composant le fonds photographique Keystone quels que soient les supports (notamment argentiques, pellicules ou numériques …) sur lesquels celles-ci sont conservées. »

2 / « L’ensemble des droits d’exploitation du Constituant (ndlr : Eyedea Illustration) sur les fonds photographiques Rapho, Hoa Qui, Explorer, Jacana et Top »

3/ « L’ensemble des tirages sur photos (sic) présentes et dont dispose le Constituant (ndlr : Eyedea Illustration) ».

S’ajoutent à cela « l’ensemble des documents permettant l’identification des fonds, les disques durs, les fiches descriptives, les listes de reportages, les listes de photographes, les contrats etc ».

Le lecteur étant déjà accablé, je clos le chapitre non sans ajouter que Maître Valliot, administrateur judiciaire, ayant appris le 4 février , en même temps que votre serviteur, l’existence d’une fiducie. Je l’interroge par téléphone le 5 février. Il me dit pouvoir « la casser ». Las, ni lui, ni moi n’avions alors les documents en main. Dès qu’il les a obtenus, non sans mal semble-t-il, il dépose le 2 mars dernier une assignation au fond contre Green Recovery II où il est stipulé que la créance pour laquelle Green Recovery II se garantit avec cette fiducie-sûreté ne lui a, en réalité, coûté que 10 centimes d’euros !

C’est à dire le prix pour qu’HFM abandonne le 15 mai dernier sa créance de 6 millions d’euros. Qui a dit que les financiers n’avaient pas de cœur ?

Et le tout dans l’avenant…

L’été 2009 fut pourri, tout le monde l’a constaté en regardant les cieux. Le 23 juillet 2009 par un « Confidentiels & indiscrets » de mon confère Augustin Scalbert nous apprenons que « L’agence photo Gamma va déposer le bilan ». En réalité il s’agit de la mise en redressement judiciaire d’Eyedea-Presse (Gamma–Stills) qui sera annoncée au comité d’entreprise le 28 juillet et effective le 30 juillet. Bien informé, et pour cause, Rue 89 annonce l’entrée dans le capital du groupe Eyedea d’un nouvel actionnaire : Franck Ullmann de Verdoso Media, société qui est au capital de ce site et du journal Marianne et participe actuellement à une nouvelle levée de fonds de Rue 89.

En septembre arrivent de nouveaux actionnaires. Qui sont-ils ?

D’abord les dirigeants de l’entreprise Stéphane Ledoux et « ses amis » qui mettent au pot : 98 000 euros soit environ 8% du capital. Il est question de garanties par le biais d’une fiducie mais « les amis » de Stéphane Ledoux ne sont pas très au fait des affaires juridiques. Parmi eux, Vincent Bonnemazou responsable de Gamma-films a été «contacté en juillet août » et me confirme au téléphone qu’il a perdu 300 000 euros «oui, c’est à peu près cela »… (Correction du 12 avril 2011: Vincent Bonnenmazou nous prie de préciser que ce n’est pas 300 000 euros qu’il a investi mais 30  000 ! Une malheureuse erreur de frappe, l’avait bénéficier d’un enrichissement abhérant, car il s’agissait pour lui « de préserver les intérêts de Gamma Film, société qui continue a travailler dans le domaine du webdocumentaire avec des anciens de Gamma, nous précise t il. Dont acte et excuses.)

Financier, Franck Ullmann de Verdoso Media n’est pas insensible à l’existence d’une fiducie-sûreté et le 16 septembre il est tout à fait d’accord pour y entrer grâce à un avenant et à prendre environ 46% des parts du capital d’Eyedea pour 1 million d’euros, ce qui le met à la même hauteur que « les Green ». Il devient administrateur jusqu’au 18 décembre 2009 où il démissionne lors d’une orageuse réunion du conseil d’administration !

Que s’est-il passé ? Deux hypothèses semblent vraisemblables sans que je ne puisse en l’état actuel de mon enquête en exclure une troisième.

1/ Franck Ullmann , comme il le dit lui même, n’aurait pas eu connaissance de l’état réel du groupe, mais dans ce cas il est assez incompréhensible qu’il soit candidat-repreneur avec à ses côtés Stéphane Ledoux PDG en redressement judiciaire …

2/ Franck Ullmann aurait compris que sa participation n’était pas véritablement garantie par la fiducie-sûreté qui mentionne les fonds photographiques Keystone car ceux-ci n’appartiennent pas à Eyedea-Illustration mais à Eyedea SA, la holding en vertu du fait que la société Keystone-France a été fusionnée en juin 2005 avec le groupe Hachette Filipacchi Photos devenu ensuite Eyedea SA. Mais là encore, comment pouvait-il l’ignorer alors que c’est écrit noir sur blanc ?

Beaucoup de points restent obscurs dans cette affaire Eyedea ou quatre candidats repreneurs (voir article précédent) sont sur la ligne de départ depuis la clôture de la dataroom ouverte par Maître Valliot, administrateur judiciaire après la mise en redressement judiciaire de l’ensemble du groupe.

La rédaction d’Abaca press
La rédaction d’Abaca press© Michel Puech

Quatre repreneurs et une fiducie

Parmi ces quatre repreneurs, deux sont des financiers : Bigard Finances et Verdoso Media. Deux sont des hommes du métier : l’agence Abaca press représentée par Jean-Michel Psaïla et Bruno Casajus et d’autre part le couple François Lochon photographe et actionnaire historique de Gamma et Bertrand Eveno, ancien directeur d’Hachette Filipacchi Photo et de l’AFP. Ces derniers s’étant également assuré le concours de Floris de Bonneville, historique rédacteur en chef de Gamma.

La candidature d’Abaca press est simple. C’est une agence de presse de photographies d’actualité et de people qui débute modestement au début des années 90 et prend son essor vers 1997/1998 avec l’arrivée des premiers appareils numériques professionnel. Elle emploie aujourd’hui 12 photographes salariés et 28 personnes « au desk » à Paris. Elle à créé en octobre 2002 une société américaine Abaca USA dans un partenariat à 50/50 avec une agence anglaise Press association qui 5 photographes salariés dont un accrédité dans le « pool » de la Maison Blanche. « Si vous taper Sarkozy dans notre base de photo, nous en avons une dizaine de milliers mais si vous cherchez François Mitterrand ou Philippe Seguin, nous n’avons pas grand chose. » m’explique Jean-Michel Psaîla. Les archives de Eyedea feraient bien son affaire. « Dans le secteur de l’édition de livres, comme dans celui des expositions nous sommes absent. » La marque Rapho, ses photographes et les personnels chargés de ces secteurs représenteraient l’ouverture de nouveaux marchés et une amélioration de leur image de marque professionnelle. Bref, cette candidature, c’est la cordonnerie du marché qui rachète celle de la mairie, en faillite. Comme l’on sait, les cordonniers sont parfois les plus mal chaussé. La publication dans France Soir vendredi dernier d’une photographie de Johnny Hallyday vieille de quatre ans mais présentée à Abaca par l’agence de Los Angeles X17 comme prise la veille et « exclusive » est un petit caillou blessant sur le chemin du candidat repreneur qui assure avoir fait constaté par huissier que son agence avait elle même été abusée par son correspondant californien.

Bertrand Eveno est lui aussi du métier, et à très envie d’y revenir. Ancien Pdg de l’AFP, il fut déjà candidat repreneur du « pôle européen de photographie » comme expliqué plus haut . Il également fait en 2008 une tentative de reprise avec le groupe Bolloré du service français Associated Press. Il est également un bon connaisseur de la photographie humaniste, ami de Raymond Grosset, président d’honneur de l’association Gens d’images. Mais il est en tandem avec François Lochon qui d’après ces déclarations semble dans ce tandem animé par la nostalgie d’un Gamma d’un autre temps.

Les quatre repreneurs présenteront leurs projets demain lundi 22 mars 2010 au personnel du groupe Eyedea sous l’égide de l’administrateur judiciaire. Ils auront environ 30 minutes pour convaincre le personnel qui aura été informé le matin par Mohamed Lounes, secrétaire du Comité d’entreprise. Mais le personnel sait déjà que sur 70 personnes il n’en restera tout au plus qu’une vingtaine. Lesquels ?

Mardi 16 mars 2010, avenue George V, à côté du célèbre Fouquet’s, Franck Ullmann me reçoit entouré de Renaud de la Baume et de Stéphane Ledoux. Il est très sûr de lui. « Il faut changer la culture de l’entreprise et nous allons la déménager sur un plateau de 800 m2 pour que les gens se parlent ». Il organise d’ailleurs, en dépit de la procédure judiciaire en cours, une visite de ces locaux pour les personnels qu’il a choisi de reprendre après des entretiens individuels. Dans la semaine, les trois compères ont également convoqué les sept membres du comité d’entreprise pour négocier individuellement des enveloppes de licenciement. « Il m’a proposé la moitié de ce qui m’est dû légalement » précise Mohamed Lounes qui a refusé l’offre.

Ce mardi 16 mars, après m’avoir précisé qu’il me prêtait un stylo pour ne pas écrire un « mauvais article », Franck Ullmann déclare : « Mon métier c’est d’arriver dans une entreprise traumatisée, de remettre en place un plan d’action et de tenter de réaliser un projet…Je ne me suis planté que dans 15% des cas. » C’est le procureur du tribunal de commerce qui dira le 30 mars prochain si l’ancien administrateur du groupe en redressement judiciaire peut être un repreneur crédible.

Si Franck Ullmann de Verdoso Media balaie d’un revers de main l’hypothèque sur les fonds photographiques que constitue la fiducie-sûreté au profit de Green Recovery et de lui-même, il n’en est pas du tout de même pour les candidats repreneurs du métier.

Vendredi 19 mars 2010 dans la soirée au téléphone, Jean-Michel Psaila d’Abaca Press et Bertrand Eveno, qui m’ont par ailleurs reçu dans la semaine dans leurs bureaux, me confirment clairement que si cette fiducie-sûreté n’est pas levée d’une manière ou d’une autre, ils seront dans l’impossibilité de maintenir leur candidature face au tribunal.
Vers une liquidation catastrophique ?

Tribunal de commerce

Dans ce cas, le 30 mars prochain, dans huit jours, le président Fiot de la 12ème chambre du tribunal de commerce n’aura plus comme solution que de décider la liquidation pure et simple du groupe Eyedea. Maître Gorrias, liquidateur judiciaire, devra alors faire son affaire de 30 millions de clichés dont un tiers seulement environ appartient en propre au groupe Eyedea. Comment Maître Gourias pourra-t-il alors organiser la restitution des fonds à leurs auteurs ? Mystère.

Samedi 20 mars 2010, dans l’après-midi, Philippe Denavit de Green Recovery me confirme au téléphone que les fonds photographiques Keystone et Eyedea Illustration sont bien concernés par la fiducie-sûreté et précise qu’il s’agit d’une « contrepartie d’argent frais apporté par les actionnaires mais que cela ne constitue pas un obstacle à une reprise ».

Ce dimanche son associé Bernard Grouchko est plus loquace sur le métier des agences de presse, admet « une mauvaise estimation de l’état de cette profession » mais souligne que « la fiducie n’est pas le seul obstacle dans cette affaire très complexe. Il ne faut pas oublier tous les autres problèmes dont les revendications des photographes. « Si vous insistez, je vous dirai franchement que si c’était à refaire, je ne le referai pas.» Mais pour la fiducie-sureté, il est sur la même ligne Philippe Denavit « Nous avons mis de l’argent dans cette société, il est normal que nous le retrouvions. »

Le sort des salariés et des fonds photographiques est entre les mains de Green Recovery et du Tribunal de commerce et d’un Etat au abonné absent..

Michel Puech
Dimanche 21 mars 2010
Tous droits réservés sur le texte et les photographies

Note :
En vertu de l’article L624-9 de la loi 2005-845 du 25 juillet 2005 les photographies déposées dans les agences peuvent devenir propriété d’un repreneur si les auteurs ne se sont pas manifestés. Il est donc très important que tous les photographes se manifestent par un courrier auprès de leur agence avec copie au mandataire afin de réclamer le retour de leurs images (tirages et ou diapositives). Ce qui n’est pas réclamé dans les délais est semble-t-il perdu. Les délais sont:
2 mois à compter de la publication au BODACC pour les photographes en France Métropolitaine soit jusqu’au 04 mai 2010 à minuit.
3 mois à compter de la publication pour les photographes des D.O.M. et des T.O.M., soit jusqu’au 04 juin 2010 à minuit.
4 mois à compter de la publication pour les photographes étrangers, soit jusqu’au 04 juillet 2010 à minuit.

L’appel du groupe Fight for foto

Lire tout le dossier de l’affaire EyedeaDernière révision le 5 mai 2023 à 3;41 par

Michel Puech


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